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Jefmetsluiunebaffe
1 novembre 2020

La vieille demoiselle...

                   

                  Il était une fois, dans un pays pas fort hyper lointain, au sud de Fontainebleau,mais au nord-ouest de la capitale des ducs de Bourgogne, une ville, célèbre entre autre, pour avoir été la patrie d'un type possédant tout en trois exemplaires, notamment les maisons, et aussi pour son équipe de foot, dirigée par un entraineur rubicond, qui faisait aussi de la pub pour de la flotte en bouteilles, ce qui, pour ceux qui connaissent un peu la région, et l'entraineur, etait un peu ...cocasse. Cette ville, charmante au demeurant, était heureusement aussi connue pour avoir été élue comme lieu de résidence par le célèbre Jacques Amyot, humaniste du XVIéme siècle,  évèque et traducteur de Plutarque. Les amateurs apprécieront à sa juste valeur le télescopage poétique, quoique improbable,entre le latiniste distingué, precepteur des enfants de Henri II, et la trogne enluminée de ce brave entraineur, et se diront que le monde est décidemment une chose bien étrange,surtout si l'on songe qu'il y a de fortes chances que le deuxième soit plus connu que le premier...mais bon, hein, sic transit gloria mundi, toussa quoi..

      Dans cette ville, donc, pas si lointaine, et à une époque, qui, replacée dans la frise chronologique ou s'entremèlent Mézozoique, Quatternaire, Paléolithique etc, n'est pas si lointaine,( et meme que c'était il y a meme pas un micro millionième de seconde), vivait dans ma rue une vieille dame, de celles que l'on appelait à l'époque les "Vieilles filles", avec tout ce que ce terme pouvait comporter de commiseration, de pitié, qui aurait pu se revéler dangereuse si la fille en question avait décidé de vivre sa vie, et d'envoyer valdinguer les toiles d'araignées qui semblaient les entourer. De nos jours, ça n'existe plus. Les statuts sentimentaux, sexuels, sociaux, sont tellement variés, nombreux et entremèlés...célibs, en couple, en trouple, amour libre, ensemble mais c'est compliqué, divorcé, séparé,  asexuel, chaste par devoir ou par hasard, habitué des boites à touzes ( ça doit etre dur pour eux en ces temps troublés) amoureux mais pas ensemble, gays mais triste parfois, gays et gais, LGBTQ et toutes les autres lettres de l'alphabet, pourvu qu'il y ait de l'amour, ou du sexe, ou les deux, ou que la passion pour la traduction des incunables en araméen l'emporte sur toute autre passion, pourvu que l'on s'éclate, c'est super. Mais de vieille fille, point, ni de vieux garçon d'ailleurs.

     Les premières trainaient dans leur sillage, en plus des odeurs d'eau de Cologne, un parfum de tares innavouées, de défaut de fabrication, et de fiancé qui s'était carapaté devant l'autel quand il avait apprit quelque monstruosité au sujet de sa douce promise ( passé sulfureux de la future belle-mère, pensionnaire en son jeune temps d'une "maison", liaison supposée avec le chien-loup de la maison, incapacité à réussir les oeufs mollets, jambe en bois etc...). Pour les seconds, les vieux garçons, il y avait derrière eux, des non-dits, des sourires entendus, et des petites phrases pleines de bile, deversant qu'il paraitrait qu'il n'y avait pas toujours eu que des sous-entendus derrière eux...genre.

      Bref, c'était un peu la honte. Il ou elle, vivait inmanquablement dans un intérieur, dont la déco était inchangée depuis les accords de Yalta, et on n'osait pas les approcher, nous les enfants, rapport aux sombres histoires de cannibalisme dont se seraient

 

rendus coupables ces monstruosités de la nature..Sauf un, que l'on était obligé de fréquenter, et que l'on appelait Cicéron, prof de latin dans notre lycée. Celibataire, donc, il promenait dans les couloirs de notre antique bahut, son air sinistre et sa sacoche marron. Pendant que son frère, que nous nommions César, prof de latin et de français, allait de cours en cours, l'air repu et la mine rejouie et bon enfant. Autant dire que chaque début d'année, était rythmée par la meme question, aux inter-cours " Alors, t'as qui ? César ou Cicéron" Question cruciale, lorsque l'on savait que les cours du second, étaient un long tunnel d'une heure ou deux, à l'entendre parler lugubrement de Plaute, auteur latin comique, je précise, et qui, avec lui, parvenait à etre aussi youplaboum que Gérard de Nerval, quelques minutes avant de se pendre près du Chatelet par une froide nuit d'hiver....alors que son frérot, arrivait à nous faire prendre Andromaque pour une aimable pochade d'etudiants de medecine.....

     D'après la légende, la fiancée de Cicéron l'avait laissé choir, pour filer le parfait amour avec son frère, César, et tandis que celui-ci goutait aux félicités d'un doux foyer, remplis d'ado, qui étaient aussi dans notre lycée, Cicéron, lui , ne s'était jamais marié. Amour déçu, au-delà du dicible, gros gros chagrin, ou ouf de soulagement, on ne saura jamais, mais toujours est-il que les réunions de famille devaient etre ...particulières! Bref, pour lui, on ne savait pas, et puis, c'étaient des histoires d'adultes.

  Dans mon quartier, il existait une de ces créatures étranges, une de ces vieilles filles. De fille à folle, il n'y avait qu'une lettre de différence en ces temps là, et l'on avait tot fait de remplacer l'une par l'autre. Elle habitait une des vieilles propriétés de notre rue, où les maisons étaient souvent cachées des yeux indiscrets par de hauts murs, et un portail de bois, plus ou moins abimé, où nous passions un oeil curieux quand nous trouvions le courage d'affronter cet endroit et son aura "maléfique". De cette propriété, ne dépassait qu'un immense sapin, qui nous servait de phare, de balise, tant il était haut et touffu. Il y avait aussi un coq, insomniaque, mais ça ne génait personne.

     Cette vieille demoiselle, sortait tous les jours, à heure fixe, pour aller dieu sait où, flanquée de deux grands sacs Prisunic, remplis de dieu sait quoi. Toujours coiffée d'un turban, sorti tout droit d'un film avec Arletty. Elle se nommait Mademoiselle Gressien. Sur elle, les bruits les plus divers couraient, sans que l'on ait jamais pu les confirmer ou les infirmer. Elle était d'une pauvreté absolue, elle était riche. Elle était dans le plus affreux des dénuements, elle était richissime. Son fiancé était mort à la guerre de 14, ce qui lui aurait fait à l'époque plus de 80 ans, or elle était certainement bien bien moins agée....bref tout et son contraire. Il y avait aussi pleins d'histoires sur l'endroit où elle vivait; reliquat du domaine familial, de la fortune parentale peut-étre, ou infame masure remplie d'immondices avec les poules qui couraient dans la maison. Avait-elle meme perdu un fiancé dans une guerre quelconque d'ailleurs ?

       Elle s'habillait au Secours Catholique. Une voisine, ayant un jour suggéré à ma chère mère de donner quelques robes de soirée dont elle n'avait plus l'usage, celle_ci s'était charitablement ecrié " Ah ça, non! pour les retrouver sur le dos de cette vieille folle!"C'est dire l'atmosphère de franche solidarité qui régnait parfois dans nos belles provinces, et dans le coeur de certaines épouses de notables, qui aurait préféré souffrir mille morts, plutot que de voir leurs brocards et leurs petites robes noires sur ces épaules décharnées, quoique peut-etre aussi patriciennes que les leurs, mais on n'est jamais trop prudente...

   Ainsi allait la vie de celle qui était plus une ombre qu'une personne, plus que seule, puisque ceux avec lesquels elle aurait pu évoquer certains souvenirs, n'étaient plus, ou n'avaient été que le temps de laisser quelques regrets, et des souvenirs à la pelle, s'agitant dans sa tete, et la faisant parler toute seule; sait-on jamais à qui parlent ceux qui parlent tout seul?

  Elle aparaissait et disparaissait, pour s'engouffrer ensuite dans ce qui, pour nous autres, enfants, était à mi-chemin entre le chateau de la Belle au bois dormant, l'antre maléfique d'une sorcière aux mystérieux pouvoirs, et un territoire tabou, fascinant mais dangereux.

      Aujourd'hui, j'ai dépassé l'age de ma mère à l'époque où cette femme vivait, et passait à petits pas dans notre quotidien. Nous ne demandions rien à nos parents, leurs vie, pensées, idées étaient si éloignées des notres, nous attendions simplement que cet état d'enfance s'achevat pour que notre vraie vie commence, et que le monde des adultes nous soit enfin ouvert, pour que certaines questions trouvent des réponses, ou non. Nos vies respectives, passées pourtant sous le meme toit, étaient tellement éloignées qu'elles en étaient presque étrangères les unes aux autres, alors poser des questions sur des choses comme la solitude, et sur l'avant-gout de la mort qu'elle peut etre lorsqu'elle est subie, ne faisait pas partie de choses que nous pouvions envisager.

     Je me suis toujours demandé ce qu'il était advenu de cette vieille demoiselle, témoin d'un temps plus que révolu, d'une époque où une femme sans homme ni bague à l'annulaire gauche etait un erreur, une anomalie, et souvent un objet de risée ou de curiosité.

   Aujourd'hui, on dit célib, on pense Sex and the City, au pire on s'attendrit et on rit des mésaventures de Bridget Jones, qui compense le manque de testostérone dans sa vie par de grandes lampées de Chardonnay, ce qui, au vu des palanquées de gros nases,parfois, sont préférables....mais pas trop longtemps quand meme, le pochtronisme meme mondain, n'étant pas l'idéal pour trouver le prince ou la pricesse charmant(e), qui n'éxiste pas , d'ailleurs, mais je vais pas spoiler le truc ( pardon: divulgacher) ...

     Le célibat, c'est le plus souvent un choix, assumé, ou regretté, mais ce n'est plus une marque au fer rouge. Alors pourquoi, me direz-vous, vous parler de cette vieille demoiselle, morte depuis longtemps certainement ?

     A cause du confinement épisode deux. Qui va faire vivre pendant un mois ou plus, ce qui fut le quotidien de toute une vie, ou presque. Pour une femme seule, confinée, jour et nuit dans le pire endroit du monde: sa tete, avec les souvenirs qui allaient dedans, bons ou mauvais, avec ses chagrins, ses peines, le souvenir de joies passées, ce qui est parfois pire, sans personne à qui parler ou si peu... Je pense qu'il était temps que je lui rende hommage, que je cite son nom pour réactiver son souvenir, et peut-etre son ame, comme les egyptiens anciens qui faisaient "revivre" les défunts dans l'au-delà, en prononcant leur nom, lorsqu'ils passaient devant leur chapelle cultuelle. Je voulais m'excuser, aussi, et qu'elle sache, si jamais elle m'entends ( je suis athée certes, mais aussi totalement irrationnelle), qu'elle sache donc, que jamais, jamais je ne serai comme ma mère. Je ne sais pas si cela sera un soulagement pour Mademoiselle Gressien, mais pour moi, en tous cas, oui.  

 

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