Une jeune fille cousue de fil blanc...
Ce soir, je vais délaisser le récit de mes aventures «louvresques», bien que j'ai un doute sur le nombre de personnes qui arrivent à me lire. Je me demande parfois si ce blog n'est pas plutôt un journal intime, destiné par quelque facétie informatique, à le rester. Intime je veux dire...
Ce soir, j'ai le cœur gros, à cause des nymphéas. Pourquoi, et comment de si jolies choses me donnent-elles le vague à l’âme, et il faut bien le dire, la larme, le chagrin, à fleur de cils et à ras le cœur? Pour une chose toute bête. Une vieille carte postale, représentant une des toiles de Monet,certainement une de celles exposées à l'Orangerie.
Elle date, même s'il n'y a pas plus d'information, de l'année où ma sœur est partie en Angleterre, pour donner des cours de français. Ou peut-être est-elle plus ancienne. Elle daterait dans ce cas-là, de l'année où elle a passé six mois dans une école internationale, à Bornemouth, juste avant de commencer ses études de langues. Toujours est-il, que dans cette petite carte, que je lui destinais, et qui n'a visiblement jamais atteint sa destination, je parlais de son retour, et aussi d'un bureau que je lui avais préparé.
Et je finissais ce petit mot anodin par cette phrase, anodine elle aussi, mais tellement sincère, parce que venant d'une sœur aînée aimante, admirative, pleine d'espoir pour ces années prochaines,merveilleuses, qu'elle souhaitait à sa cadette.
«pour la plus jolie blonde qui ait jamais existée sur terre»
Elle était tout ce que je n’étais pas, tout ce que je ne fut jamais, au temps de mon adolescence, et bien plus tard encore. Si j'en parle au passé, c'est que cette merveilleuse jeune femme, ne dura, dans tout son éclat, libre et solaire, que le temps que durent les demoiselles, les libellules des étangs campagnards. Elle fut remplacée très vite, à une vitesse vertigineuse par une ombre, qui prenait une place folle, pourtant, au fur et à mesure qu'elle tentait vainement de disparaître aux yeux du monde, et à ses yeux d'abord.
Ce soir, je me suis effondrée et j'ai pleuré, en pensant à toutes ces années de souffrance, me demandant ce que j'aurais fait si, par une prescience quelconque, j'avais su dans quelle vie de misère et de douleur physique et morale,elle allait se précipiter comme on plonge dans un puit...
Aurais-je décidé, folle de rage et de douleur de faire justice, moi-même, en tuant mes géniteurs, coupables de tant de choses, coupable d'avoir fait, coupable d'avoir laisser faire, d'avoir refusé de voir, ou pire, d'avoir décidé de laisser faire...?
C'était déjà trop tard, c'eut été inutile, le mal était fait. J’aurais certainement remué ciel et terre pour lui faire consulter les médecins, si rares à l'époque, qui s'occupaient de cette maladie, qui était à peine considérée comme une maladie. Elle aurait peut-être rencontré parmi ses compagnes d'infortune, Delphine de Vigan, dont je sais qu'elle et ma sœur ont eu le même médecin, mais l'une s'en est sortie, pas l'autre. Ou peut-être tout simplement aurait-elle rejoint la cohorte de celles qui se suicident, parce que c'est trop dur, et que lorsque le déni de la maladie n’est plus là pour vous porter, pour vous soutenir, on s'effondre.
C'est peut-être ça, le secret de sa longévité. Elle a nié si longtemps être malade, ils furent si rares ceux qui pensaient que ce n'était pas un caprice, une lubie, un autre de ses multiples aspects fiers et de ses façons bravaches de dire qu'elle les emmerdait tous, c'est peut-être ça, qui l'a sauvé. Mais de quoi a-t-elle été sauvée? De la paix, d'un sommeil sans cauchemar, de la certitude de devenir peu à peu, un souvenir, douloureux, puis nostalgique, puis comme une photo qui s'estompe, un souvenir lointain, peut-être moins douloureux, plus doux, plus estompé, comme un rêve, que l'on voudrait bien rattraper ou retenir, mais qui n'a pas vocation à être autre chose qu'une belle fumée, qui s'en va avec le jour.
De tout cela elle n'a pas été sauvée, et elle a vécu, dans une prison, que même les pires systèmes dictatoriaux du monde actuel, ne peuvent imaginer.
Elle a été emmurée, vivante, avec ses peurs, ses douleurs, ses angoisses, et pire que tout, cette solitude, qui est celle qui accompagne tous ceux et celles qui, comme elles, se débattent comme des mouches prises au piège d'un verre retourné. Voyant le monde extérieur, de plus en plus flou et déformé au fur et à mesure de la perte de leurs forces, de leur lucidité, de leur espoir de s'en sortir un jour.
Et moi aussi, je perds espoir, je perds parfois le sens des réalité pour elle, et je perds même son histoire. Depuis quelques mois, ou quelques années, je ne sais plus, je tente de coucher par écrit, les circonstances, les débuts, le commencement de tout ceci. Pour remettre de l'ordre, pour laisser un témoignage, une trace...
J'ai écrit déjà pas mal de pages, sur des cahiers, sur des feuilles éparses, et l'ironie veut qu'à chaque fois que je tombe dessus, je me dise: «ah, il faut que range ce texte pour le taper, pour le mettre au propre...»
Et à chaque fois, je le range, je ne sais où. Et, là, je ne le retrouve plus...
Je ne me souviens que de la première phrase. Ça commence comme ça:
-
Un Mars.
-
Un Mars, grignoté, et soigneusement ré-emballé et rangé dans la porte intérieure du réfrigérateur familial..